Kaléidoscope


Moi.

Moi, je bois. J'aime boire. Avec rancœur. J'aime que l'alcool lisse ma vie quand je la trouve trop rugueuse.

J'aime boire aussi avec fureur. J'aime le désordre de l'alcool qui sait troubler ma vie lorsque je la trouve trop lisse.

Toi.

Toi, tu fais la gueule. Tu as peur que nous soyons heureux. Tu as peur que nous soyons tranquilles, trop ordonnés.

Et tu pleures parce que c'est moi qui pars maintenant.

Elle.

Elle, elle passe ses journées à ranger et à récurer, à blanchir et à polir. Elle passe entre les meubles, derrière les rideaux.
Elle s'y cache et se noie dans la baignoire. Elle astique un reflet qui l'effraie.

Elle y aperçoit une femme aux cheveux sales et désordonnés que sa mère a toujours trouvée laide.

Lui.

Lui, il est méticuleux également, le meurtrier en série, le criminel de guerre. Il tranche, il décapite, il élague, il exclut,
il condamne, il ordonne.

Mais il sue, le bourreau, et il pue la charogne.

Nous.

Nous, nous aimions les planes promenades sous un jour fixe et clair, dans ce jardin à la française, minuscule et prétentieux,
et puis nous rentrions à l'ombre studieuse de la grande cuisine qui sentait bon le coing et l'ordre.

Nous aimions les orages aussi. Et les monstres de la nuit.

Vous.

Vous, vous êtes fous. Vous êtes les fous. C'est pour ça que nous vous enfermons. Vous êtes, dans l'ordre, différents, dérangeants,
dangereux, indociles. Inutiles de toute façon.

Ou n'est-ce pas vous, plutôt, et votre folie vraie, qui nous laissez là, abasourdis, sur votre bord, fascinés par la fissure qui
nous parle d'un père que nous n'attendions plus?

Eux.

Eux, ils construisent des châteaux de sables, de tendres présomptions, des châteaux alignés, ordonnés le long d'après-midi
brûlantes et salées.

Ils ne pourraient pourtant pas les quitter sans les avoir d'abord détruits.

Elles.

Elles, les notes, les phrases, les couleurs et les perspectives, elles nous impriment. Et nous nous en imprégnons, des notes,
des phrases, des couleurs et des perspectives. Elles nous calent et nous ordonnent.

Mais elles nous ordonnent aussi d'être libres, elles nous donnent de la dissonance, de l'insolence, un souffle de clair-obscur et
un rien d'asymétrie.