La femme: Vous vous en souvenez, maintenant?

L'homme: De quoi?

La femme: Vous aviez oublié quelque chose, vous aviez oublié quoi...

L'homme: J'ai dit ça comme ça. J'avais peur de vous ennuyer.

La femme: Vous ne m'ennuyez pas.

L'homme: Pas encore.

La femme: Toujours pas.

L'homme: Vous voulez bien me resservir un verre de vin?

Elle le sert. Il boit. Il paraît mal à l'aise. Le silence se prolonge. Il prend une gorgée de vin, fixe un moment la femme, puis, après avoir finalement baissé les yeux, il vide son verre cul-sec.

La femme: Il s'ennuyait tant que ça?

L'homme: Qui? (la femme le fixe; il paraît gêné) Qu'est-ce qui vous fait penser qu'il y avait quelqu'un?

La femme: Il y a toujours quelqu'un. Et votre quelqu'un à vous a l'air d'être encore tiède.

L'homme: Et le vôtre?

La femme: Vous ne voulez pas m'en parler?

L'homme: D'amour?

La femme: De lui.

L'homme: Après vous. (la femme reste silencieuse) A vous de jouer, je vous dis.

La femme: (après un temps, en saisissant la bouteille de vin) Je vous ressers? (il ne répond pas; elle le sert, puis se sert) Elle muait. Comme les serpents. Quand quelque chose l'avait bouleversée, elle se débarrassait le soir même des vêtements qu'elle portait ce jour-là. Comme d'un mauvais souvenir. D'une peau morte. (après un silence) On se disputait de plus en plus souvent. Et chaque fois, le lendemain matin, quand elle prenait sa douche, je ne pouvais pas m'empêcher d'aller faire toutes les poubelles de l'appartement. Je sais que je n'avais pas l'air très fin, le nez dans la poubelle de la cuisine, à retourner les épluchures de légumes, à me couper presque avec le couvercle d'une boite de thon, pour vérifier qu'il n'y avait rien d'autre que des épluchures ou des conserves. Tout en tendant l'oreille pour ne pas me faire surprendre si elle était sortie de la salle de bain à ce moment-là.

L'homme: Ça l'aurait peut-être touchée de vous voir le nez dans les épluchures.

La femme: Vous croyez? (après un temps) A vous de jouer, maintenant. Parlez-moi de lui.